Plasticien sans pratique d’atelier, je travaille où se tiennent mes expositions et résidences, toujours en collaboration. Questionnant ainsi, inlassablement, le statut d'auteur·rices et la place de l'individu dans le collectif.

Allant du duo à la quinzaine de personnes, ces collectifs éphémères rassemblent des gens de statuts et de générations différentes. Ainsi, bien que principalement constitués d’artistes professionnel·les, ces groupes accueillent également des artistes amateur·es et des étudiant·es tout en sollicitant des personnes extérieures au monde de l'art. Les relations interpersonnelles entre nous sont, elles aussi, variées. Je travaille autant avec des ami·es que des inconnu·es ; certain·es se connaissent entre eux·elles quand d’autres font un saut dans l’inconnu et découvrent tout le monde.

La manière avec laquelle ces groupes sont constitués diffère. Il arrive que je compose seul une constellation d’artistes en m’imprégnant du contexte de l’exposition à laquelle je participe ; parfois, cette maternité·paternité se partage par délégation et le groupe est co-créé par ses propres membres ; enfin, je peux être invité par une autre personne en tant que membre d’un collectif éphémères.

Une fois que ces associé·es se rencontrent, je m’éloigne de la position d’organisateur pour me rapprocher de celle de plasticien : la dimension para curatoriale, comme la nomme l’artiste Jagna Ciuchta à propos de sa propre pratique, est mise de côté et il me revient alors de trouver ma place dans ce collectif d’artistes qui se rencontrent.

Car mon rôle n’est pas celui d’un chef d’orchestre qui viendrait proposer une partition aux autres. Dans ces groupes toutes les décisions sont prises collégialement : nous décidons ensemble de ce que nous allons réaliser et comment nous allons le réaliser. Ici, il est question d’expérimentation, de tâtonnement, de flou, non d’un projet monolithique dans lequel tout serait d’ores et déjà prévu. Il s’agit d’aménager l’imprévisible.

La co-construction et l’empirisme sont ainsi au cœur de notre manière de travailler, ma voix n’est donc pas prépondérante. Chaque collectif avec lequel je travaille invente ses propres modes de fonctionnement et de production : allant de la juxtaposition de formes que nous aurions réalisées chacun·es dans notre coin à l'élaboration d'œuvres collaboratives dans lesquelles il n’est plus possible de déceler nos propres interventions.
Entre ces deux voies très distinctes se trouvent bien des nuances, plus ténues, qui viennent enrichir et complexifier les possibilités de travail qui s’offrent à nous.

De la même façon, chaque artiste applique, ou non, les méthodes proposées par le collectif et se laisse plus ou moins guider vers de nouvelles manières d’œuvrer. Car la position d’auteur·rice omniscient·e vis-à-vis de sa propre pratique est mise à mal, questionnée, reconfigurée. Mon autorité se dilue et j’abandonne la paternité unique de mon travail : mes expositions et résidences deviennent collectives, mes œuvres deviennent collaboratives.

La réalisation finale n’est pas ma préoccupation principale. Il n’est pas uniquement question des œuvres que nous créons et installons, mais de tout un processus de travail qui démarre lors de la constitution du groupe et s’arrête parfois longtemps après l’exposition.

Ces invitations me permettent également d’emprunter le pouvoir décisionnaire d’un jury ou d’un·e commissaire d’exposition. S’opère alors un renversement de l’autorité : je « court-circuite » les modes de sélection et réalise un programme dans le programme. Que ce soit lorsque j’invite d’autres artistes à partager mes conditions de résidence – remettant en cause les principes des « élu·es » – ou lorsque nous construisons collégialement nos expositions.

Je cherche à créer une expérience commune qui permette autant aux participant·es qu’aux spectacteur·rices de s’interroger sur des questions comme : comment faire communauté à partir d’un ensemble de singularités ? qu’advient-il lorsque l’on met entre parenthèses notre tendance à la hiérarchie ? qu’est-ce que l’autogestion engendre par rapport à un fonctionnement pyramidal ?

J’essaie de m’affranchir du « je » et de l’occupation personnelle de l’espace d’exposition, de désacraliser l’œuvre et l’auteur·rice en proposant une autre manière de faire dans un système en crise dans lequel la concurrence est prônée et l’individualisme exacerbé.